Départ de Feux
Galerie Jeune Création, du 24 septembre au 30 octobre 2016
Exposition collective avec Steeve Bauras, Kévin Cadinot, Jérémy Chabaud, Johan Decaix, Margaret Dearing, Edwin Fauthoux‑Kresser, Carine Klonowski, Anaïs Leroy, Yannis Perez, Jérôme Pierre, Julien Saudubray, Julie Savoye, Kevin Senant, Géraud Soulhiol, Dimitri Robert‑Rimsky et Rémi Uchéda
Collaboration avec Claire Colin-Collin
Emmanuel Simon m'apporte une toile à l'atelier pour que je peigne dessus. Cette toile est déjà peinte. De manière légère mais nette, un espace vide est représenté, avec une perspective, du sol au plafond (les dalles d'un faux plafond semble avoir été enlevées, laissant voir la structure porteuse suspendue, qui fait grille). Les murs roses sont couverts de cimaises blanches. Il me dit que c'est l'espace d'exposition où sera montrée la toile. On l'accroche au mur de l'atelier puis on s'en va en papotant.
Ce matin je suis décidée à la peindre. Ma crainte est - évidemment - de tout détruire. Détruire son travail. Mais son travail m'invite à investir cet espace, me tend cette boîte à remplir / ou à vider ? La crainte de tout détruire est permanente en peinture. Vouloir finir et faire disparaître l'essentiel, ne pas voir à temps un accident magnifique, accomplir son projet à la place de regarder... On connaît ces nombreuses façons de détruire la peinture. Recouvrir. Couche sur couche. C'est le principe. On couvre, on recouvre, et plus rarement on découvre. Donc j'ai une certaine pratique de cette peur.
D'habitude, c'est le temps du regard qui m'aide à savoir. À force de temps, je vois si la peinture tient ou pas. Si elle ne tient pas, autant essayer autre chose. Et recouvrir, repartir de zéro. Mais là, cette peinture est faite spécialement pour être recouverte par quelqu'un d’autre.
Jusqu'alors les peintres invités à ce drôle d'exercice ont joué d'un certain dosage dans le recouvrement. Utilisant la peinture d'Emmanuel comme une scène. Elle semble inachevée, dans sa réalisation-même, laissant beaucoup de réserves et de transparences. Les coulures sont cantonnées dans des espaces circonscrits. Elle n'est pas sur châssis.
Qu’est-ce que je mets en danger ? Cette situation aiguise des questions récurrentes à l'atelier. Et me parle d'autant plus amplement que mon geste de peinture actuel est celui de la rature. Je vais raturer la peinture d’Emmanuel, la barrer. Faux ! En réalité cette rature ne barre rien, elle se pose dans la surface, comme pour en décrire le vide. Elle occupe et désigne l'espace de la toile. Elle la signifie. La remplissant pour signaler sa possible vacance.
Justement, Emmanuel me parlait de l'absence de sujet : présentant son projet comme une solution de fortune à la question de « quoi peindre ? ». Ne sachant pas quoi, il se mit à peindre l'espace autour de lui, l’atelier commun, partiellement occupé par le travail des autres.
J'aime bien ce rapport au vide : un être qui affirme son vide plutôt qu'une intériorité débordante (telle qu'on nous la demande à l’école, qu’il a quittée il n’y a pas si longtemps). Il se sent vide et peint des espaces vides qu'il fait remplir par d'autres. Est-ce le contraire d'un artiste moderne ? Un gant retourné ? Est-ce un peintre ou un artiste conceptuel ? A t-il trouvé un moyen d'esquiver le risque de ne faire "que de la peinture » ? Que signifie son refus d’être auteur unique de l’œuvre ?
Je vais donc occuper son terrain. Je n'ai pas d'intérêt à tout recouvrir, car c’est la question de la cohabitation de ma peinture et de la sienne qui m’occupe : si une forme couvre une autre, la détruit-elle ? Peut-on avoir une lecture unique de ces deux temps de peinture ?
Galerie Jeune Création, du 24 septembre au 30 octobre 2016
Exposition collective avec Steeve Bauras, Kévin Cadinot, Jérémy Chabaud, Johan Decaix, Margaret Dearing, Edwin Fauthoux‑Kresser, Carine Klonowski, Anaïs Leroy, Yannis Perez, Jérôme Pierre, Julien Saudubray, Julie Savoye, Kevin Senant, Géraud Soulhiol, Dimitri Robert‑Rimsky et Rémi Uchéda
Collaboration avec Claire Colin-Collin
Crédit photos Anaïs Leroy
Emmanuel Simon m'apporte une toile à l'atelier pour que je peigne dessus. Cette toile est déjà peinte. De manière légère mais nette, un espace vide est représenté, avec une perspective, du sol au plafond (les dalles d'un faux plafond semble avoir été enlevées, laissant voir la structure porteuse suspendue, qui fait grille). Les murs roses sont couverts de cimaises blanches. Il me dit que c'est l'espace d'exposition où sera montrée la toile. On l'accroche au mur de l'atelier puis on s'en va en papotant.
Ce matin je suis décidée à la peindre. Ma crainte est - évidemment - de tout détruire. Détruire son travail. Mais son travail m'invite à investir cet espace, me tend cette boîte à remplir / ou à vider ? La crainte de tout détruire est permanente en peinture. Vouloir finir et faire disparaître l'essentiel, ne pas voir à temps un accident magnifique, accomplir son projet à la place de regarder... On connaît ces nombreuses façons de détruire la peinture. Recouvrir. Couche sur couche. C'est le principe. On couvre, on recouvre, et plus rarement on découvre. Donc j'ai une certaine pratique de cette peur.
D'habitude, c'est le temps du regard qui m'aide à savoir. À force de temps, je vois si la peinture tient ou pas. Si elle ne tient pas, autant essayer autre chose. Et recouvrir, repartir de zéro. Mais là, cette peinture est faite spécialement pour être recouverte par quelqu'un d’autre.
Jusqu'alors les peintres invités à ce drôle d'exercice ont joué d'un certain dosage dans le recouvrement. Utilisant la peinture d'Emmanuel comme une scène. Elle semble inachevée, dans sa réalisation-même, laissant beaucoup de réserves et de transparences. Les coulures sont cantonnées dans des espaces circonscrits. Elle n'est pas sur châssis.
Qu’est-ce que je mets en danger ? Cette situation aiguise des questions récurrentes à l'atelier. Et me parle d'autant plus amplement que mon geste de peinture actuel est celui de la rature. Je vais raturer la peinture d’Emmanuel, la barrer. Faux ! En réalité cette rature ne barre rien, elle se pose dans la surface, comme pour en décrire le vide. Elle occupe et désigne l'espace de la toile. Elle la signifie. La remplissant pour signaler sa possible vacance.
Justement, Emmanuel me parlait de l'absence de sujet : présentant son projet comme une solution de fortune à la question de « quoi peindre ? ». Ne sachant pas quoi, il se mit à peindre l'espace autour de lui, l’atelier commun, partiellement occupé par le travail des autres.
J'aime bien ce rapport au vide : un être qui affirme son vide plutôt qu'une intériorité débordante (telle qu'on nous la demande à l’école, qu’il a quittée il n’y a pas si longtemps). Il se sent vide et peint des espaces vides qu'il fait remplir par d'autres. Est-ce le contraire d'un artiste moderne ? Un gant retourné ? Est-ce un peintre ou un artiste conceptuel ? A t-il trouvé un moyen d'esquiver le risque de ne faire "que de la peinture » ? Que signifie son refus d’être auteur unique de l’œuvre ?
Je vais donc occuper son terrain. Je n'ai pas d'intérêt à tout recouvrir, car c’est la question de la cohabitation de ma peinture et de la sienne qui m’occupe : si une forme couvre une autre, la détruit-elle ? Peut-on avoir une lecture unique de ces deux temps de peinture ?
Claire Colin-Collin